Chapitre 1
« Vous êtes monsieur…
— Monsieur Sotchak. Enetol Sotchak.
— Ah ! Nous vous attendions depuis longtemps. Avez-vous fait un bon voyage ?
— Oui, et je suis heureux d’être arrivé à destination. »
Le garde se leva prestement de son banc craquelé et rajusta sa veste défraîchie. Ou du moins, je supposai qu’il s’agissait d’un garde, car cet aimable vieil homme à la barbe blanche n’avait pas vraiment l’allure d’un guerrier. Je notai qu’un sabre de cavalerie pendait le long de sa cuisse gauche, mais je doutai fort qu’il pût faire peur à quiconque avec cette arme. C’était d’ailleurs moi qui étais en selle, et non lui.
J’en descendis.
« Je vais vous conduire auprès de monsieur le comte, annonça le garde. Vous pourrez laisser votre monture aux bons soins de l’écuyer. »
Il se dirigea vers le pont-levis, une lourde construction qui n’avait sûrement pas été relevée depuis des décennies. Elle passait au-dessus d’une douve remplie, non pas d’eau, mais de ronces et d’orties. C’était une défense sûrement plus efficace que ce vieux barbon.
« Vous êtes un ancien militaire ? demandai-je tandis que nous nous engagions sur le pont.
— Oui monsieur, répondit fièrement le garde. J’ai servi quinze ans dans l’armée de Sa Majesté.
— Et ici, vous avez trouvé des ennemis à repousser ?
— Non monsieur. Pour un soldat de carrière, la région est mortellement ennuyeuse. Mais au moins, je suis logé et nourri. »
Je savais pertinemment que, de mémoire d’historien, aucune armée ennemie n’était jamais passée par le comté de Tchebolok.
« Il n’y a pas de brigand ? poursuivis-je.
— Non plus. »
J’avais deviné la réponse avant de poser la question, en voyant l’humble allure de ce château. C’était un bâtiment sans grâce, qui me montrait une façade rectangulaire au-dessus de laquelle dépassaient des ardoises. Le rez-de-chaussée et le premier étage étaient ponctués de fenêtres dépourvues de volets, si bien que n’importe qui pouvait entrer en brisant un carreau. Il fallait toutefois se hisser pour les atteindre, le château reposant sur des fondations assez hautes. Si ce bâtiment recelait un trésor, il devait être enfoui dans quelque catacombe, parmi les ossements d’ancêtres oubliés.
Un jeune écuyer au costume de paysan et au regard fuyant attrapa mon cheval par la longe, pendant que mes bagages étaient portés dans un vaste hall.
Je fus ensuite introduit dans une grande salle surtout meublée d’une immense table qu’entouraient vingt chaises impeccablement alignées. Deux lustres pendaient du plafond, mais pour le moment, la lumière provenait des cinq fenêtres. Les rayons dorés du soleil couchant donnaient un peu d’éclat à des tableaux noirâtres plaqués contre les murs, où des formes humaines transparaissaient comme des spectres. Je me déplaçai lentement pour les regarder un par un, tandis que le plancher craquait sous mes pas.
C’était là que j’allais passer mes prochains mois. Même s’il n’avait pas la splendeur des palais de Peresk, ce château me plaisait. Il semblait ouvert aux quatre vents. L’odeur que j’y respirais n’était pas celle du renfermé ou de la moisissure, mais celle de la forêt. Elle envahissait chaque recoin. De loin, le comté de Tchebolok ressemblait à un entrelacs de collines recouvertes de frondaisons luxuriantes, entre lesquelles s’étirait le ruban bleu de la rivière Syevlatch. Les villages étaient submergés par cet océan de verdure, et seul le château en émergeait, dressé sur son éminence. Il y avait bien quelques champs ici et là, mais les paysans vivaient plutôt de l’élevage et de l’exploitation de la forêt.
Des bruits de pas se firent entendre et une petite troupe entra dans la salle. C’était visiblement le comte Nikholor et sa famille. De manière surprenante, la modeste allure de son château ne se reflétait nullement sur sa personne. Il était de haute stature. Un caftan de brocart dissimulait son puissant corps. Son regard bleu émergeait de profondes orbites et il portait une barbe brune assez courte.
Je m’inclinai devant lui.
« Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sotchak, déclara-t-il. Ma demeure vous plaît-elle ?
— Oui, seigneur.
— Soyez sincère. Ce château est à l’image de mon comté : très rustique.
— Il me plaît vraiment, car j’aime la forêt.
— Bien… Je vous présente mes deux premières filles, Louriana et Violla. La première a dix-sept ans et la seconde quinze. Ce sont elles que vous serez chargé d’instruire »
Je m’approchai des deux demoiselles, que je trouvai d’une stupéfiante beauté. Elles avaient le même regard bleu que leur père et une petite nuée rose teintait leurs joues pâles. Leurs chevelures brunes descendaient en boucles sur leurs épaules et leurs dos. En cette saison chaude, leurs vêtements étaient légers. Elles portaient un corsage blanc agrémenté de quelques broderies, à manches courtes. Leur profond décolleté était amoindri par des lacets rouges, qui ne cachaient pas la naissance de leurs seins. Ceux de Louriana me semblaient particulièrement voluptueux.
Son regard s’était brusquement allumé quand elle m’avait vu, et lorsque je pris sa main pour la porter à mes lèvres, ses doigts serrèrent ardemment les miens.
« Vous avez fait vos études à l’université de Peresk ? s’enquit-elle.
— Oui, mademoiselle.
— Dans quel domaine ?
— Les sciences naturelles. J’ai aussi fait un peu de médecine.
— Alors vous êtes le premier érudit que je rencontre. Je vous remercie d’être venu de si loin pour moi et ma sœur. Nous nous efforcerons de nous montrer dignes de vous.
— Vous êtes appelés à ne plus vous quitter, précisa Nikholor, alors comportez-vous de manière familière dès maintenant. Mes filles ont seulement appris à lire et à écrire. Elles connaissent aussi les travaux féminins. Prenez le temps qu’il vous faudra pour les transformer en jeunes filles cultivées.
— Je le ferai.
— Enseignez-leur ce que vous voudrez. Mon seul souhait est qu’elles fassent bonne impression à leurs futurs époux. »
Ma main n’avait pas lâché celle de Louriana ; quand nos doigts se séparèrent, je rendis le même hommage à Violla, une jeune fille au visage plus rond que celui de sa grande sœur et aux cheveux plus sombres, presque noirs. Elle m’observait avec le même intérêt.
Avec elles, se trouvait une femme gracieuse mais au visage fermé. Je ne m’étais pas attendu à la voir desserrer les lèvres :
« Voulez-vous que mes filles vous conduisent à votre chambre ?
— Avec plaisir.
— Je me demandais si j’allais vous donner une servante, mais mes filles sont là pour s’occuper de vous. Je vous laisse entre leurs mains. Nous nous retrouverons pour le dîner. »
Je quittai donc la grande salle avec mes deux élèves. Nous nous engageâmes dans un couloir éclairé par des portes ouvertes, où l’air chargé de senteurs forestières circulait librement.
« Votre château est-il chauffé en hiver ? m’enquis-je.
— Pourquoi demandez-vous cela ? répondit Louriana.
— Parce que… J’ai l’impression qu’il est impossible de le protéger des courants d’air.
— Il ne faut pas vous inquiéter. Nous laissons toutes les portes ouvertes et ne les fermons qu’en cas de nécessité, comme lorsqu’une averse trop violente s’abat sur la contrée. Et puis dans cette région, l’hiver est très doux. Il ne neige jamais. En revanche, les pluies sont fréquentes, surtout en été. Cela explique la luxuriance de la végétation.
— J’ai remarqué cela. Il m’a fallu affronter quelques averses. »
Nous marchions côte à côte, sans vraiment nous regarder, mais la proximité de Louriana envahissait mes sens. J’entendais bruisser sa jupe de soie pourpre, d’où dépassait une affriolante paire de mollets. Elle marchait pieds nus, de même que beaucoup de gens dans leur demeure, infligeant au plancher de menus craquements. Contrairement aux femmes de l’aristocratie, elle n’avait pas de jupon, ce qui me troublait notoirement, comme si elle ne s’était vêtue qu’à moitié, rendant plus accessibles les parties intimes de son corps.
Un parfum que je n’arrivais pas à identifier passait sous mes narines. Qu’était-ce donc ? Il m’évoquait l’odeur acide d’un lys.
Violla nous suivait de près, sans prononcer un mot.
« Voici votre chambre », annonça Louriana.
Elle me fit franchir le seuil devant elle.
Je découvris une vaste pièce éclairée par trois fenêtres. Devant l’une d’elles, se trouvait un bureau accompagné de deux chaises, devant lequel mes bagages avaient été déposés. Je n’avais emporté que peu de choses, seulement ce qui pouvait être posé sur la croupe d’un cheval. Je me dirigeai tout droit vers une petite malle en cuir, qui contenait des livres et avait le mérite d’avoir résisté à toutes les intempéries que j’avais connues depuis mon départ de Peresk.
Je la posai sur le bureau pour l’ouvrir et en sortis plusieurs ouvrages. Louriana s’approcha aussitôt de moi et prit un livre.
« Précis de botanique…, murmura-t-elle. Vous avez lu tout cela ?
— Oui, et bien plus encore, répondis-je. Ce que j’ai emporté n’est qu’un aide-mémoire. Je peux aussi vous parler d’autres choses que de sciences naturelles.
— De quoi, par exemple ?
— De littérature. J’ai apporté quelques recueils de poèmes… Tenez. Celui-ci. »
Louriana tira une chaise et s’assit devant le bureau pour ouvrir le livre. Violla se plaça derrière elle et regarda quelques poèmes par-dessus son épaule.
« J’ai de l’admiration pour vous, dit-elle.
— C’est surtout une question de chance. Je suis né à Peresk dans une famille de lettrés, alors je dévore les livres depuis mon plus jeune âge. À l’université, j’ai suivi l’enseignement d’éminents maîtres.
— La vie là-bas doit être passionnante, n’est-ce pas ?
— Oui, elle l’est.
— Moi, je n’ai jamais quitté le comté, et je ne connais que le travail des paysans. »
Ses paroles ne sonnaient pas tout à fait juste. Je sentais que Louriana était bien plus éveillée qu’elle me l’avait laissé paraître.
Elle entreprit de sortir tous les livres restant dans la valise, lisant leurs titres et les disposant sur le bureau en plusieurs piles. La plus proche d’elles comprenait exclusivement des ouvrages de botanique.
« Vous vous intéressez aux plantes ? m’enquis-je en prenant place à côté d’elle.
— Était-ce précisé dans la lettre que vous avez reçue ?
— Oui.
— C’est mon père qui l’a écrite. Je n’en connais pas exactement le contenu.
— Je peux vous la montrer.
— Non, c’est inutile. L’essentiel est que vous soyez venu. »
Elle me donna un regard à me faire vaciller. Ses yeux cristallins contenaient des rayons de soleil éclairant un esprit qui me semblait être des plus vifs.
Dieu tout puissant ! Comment allais-je tenir face à une telle beauté, plus jeune que moi de seulement cinq ans ? C’était l’âge qui séparait habituellement un mari de son épouse, mais il m’était impossible de la convoiter. Elle avait beau être la fille d’un modeste comte vivotant sur une langue de terre perdue aux confins la Touvénie, elle n’en était pas moins une noble et ne pouvait épouser que des hommes de son rang.
Peut-être s’autoriserait-elle quelques écarts de comportement, sans plus. Les mœurs n’étaient pas vraiment prudes, comme le montraient les costumes féminins. Le corsage de Louriana mettait plus en valeur la beauté de son corps qu’il ne la cachait. Il me laissait admirer la peau satinée et légèrement hâlée de ses avant-bras aux poignets ornés de quelques bracelets. Il était surtout comme une couronne posée sur sa poitrine.
« À quoi pensez-vous ? demanda-t-elle.
— Euh… à rien », bafouillai-je.
Un sourire narquois flotta sur les lèvres de Louriana, avant de s’évanouir promptement.
Je pris un livre pour l’ouvrir et le refermer aussitôt.
« Je me disais que… D’où provient votre intérêt pour les sciences ? repris-je en essayant de me maîtriser. Les filles se tournent plutôt vers les arts, en général.
— À Peresk ou dans les grandes villes, mais pas ici. Nous sommes proches de la nature, donc je suis curieuse de mieux la connaître.
— N’en êtes-vous pas déjà familière ?
— Si, mais… Savez-vous utiliser un microscope ?
— Oui.
— Moi, je ne sais pas à quoi ressemble ce genre d’appareil.
— Je n’en ai pas apporté. Je suis désolé.
— Non, ne me présentez pas vos excuses. Je voulais simplement vous dire que vous avez vu beaucoup plus de choses que moi. Mes connaissances n’excèdent pas celles d’un paysan. »
Les mains de Louriana quittèrent la table pour se poser sur sa jupe. Quant à son regard, il était resté sur moi, comme fixé à mon visage par des crochets.
« C’est la deuxième fois que je parle des paysans, remarqua-t-elle. J’ai bien conscience d’avoir des origines nobles, mais il ne faut pas vous estimer inférieur à moi. Nous sommes en réalité des gens très simples. Avez-vous entendu les propos de mes parents ? Ma mère souhaite que je me comporte envers vous comme une servante.
— C’est exagéré.
— Mais vous êtes mon maître, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Vous pourrez donc obtenir ce que vous voudrez de moi. »
Cette phrase d’une redoutable ambiguïté eut un effet dévastateur. Je me levai précipitamment, propulsé par un invisible ressort, mais je me retrouvai face à Violla, qui s’était tenue sagement derrière nous, ses pieds nus fixés sur le plancher. À en juger par ce qui dépassait de sa jupe, elle avait une paire de jambes tendres comme des jeunes pousses de printemps et d’une douceur melliflue.
Que mes pensées étaient impures !
C’est que comme beaucoup d’hommes, je fréquentais les prostituées, des filles parfois aussi jeunes que Violla et presque aussi belles. On en trouvait à si bas prix que même des étudiants pas trop infortunés pouvaient se payer leurs services. La misère des uns faisait le bonheur des autres : elles étaient vendues à des maisons closes par des familles qui ne trouvaient pas d’autre moyen d’assurer leur subsistance. Elles y gagnaient au moins de quoi se nourrir durant plusieurs mois, quand ce gain ne partait pas en achat d’alcool.
J’avais donc l’habitude d’écarter les cuisses de jeunes filles semblables à mes deux élèves, sans parfois passer par un seul brin de conversation. Et elles étaient soumises à tous les désirs. C’était un plaisir dont il était difficile de se passer.
Je pris une profonde inspiration et m’écartai de Violla et Louriana. Mon regard tomba alors sur un lit à baldaquin, aux courtines vertes. Il était assez grand pour accueillir deux personnes, et d’ailleurs, deux oreillers avaient été disposés.
Je m’abstins de demander la raison de cette surabondance de literie, pour conduire mon regard en d’autres lieux moins problématiques. Comme partout ailleurs, le sol de la chambre était recouvert d’un plancher en bois où subsistaient des traces de vernis, usé par d’innombrables plantes de pieds. Je faillis m’excuser d’y poser mes bottes poussiéreuses. Outre le bureau et le lit, ma chambre comportait deux armoires et plusieurs étagères, apparemment disposées à accueillir des livres. Les murs blancs portaient deux tableaux défraîchis de paysages qui semblaient avoir sommeillé un siècle dans un grenier.
Je passai un doigt songeur sur l’un d’eux.
« Désirez-vous vous reposer ? s’enquit Louriana, après s’être relevée.
— Non, merci.
— Ou voulez-vous plutôt prendre un bain ? C’est juste ici. »
Elle désigna une porte aménagée dans un mur latéral.
« C’est une bonne idée, répondis-je.
— Je vais dire à des domestiques de remplir la baignoire. Vous voulez de l’eau tiède ?
— Oui.
— Attendez-moi ici, je vous prie. »
Louriana quitta prestement la pièce, me laissant seul avec Violla.
Elle n’avait pas bougé, mais elle me regardait avec une sorte d’espoir dans ses yeux. Je me rendis subitement compte qu’elle ne semblait pas plus jeune que Louriana, bien que leur parenté fût incontestable. Sa croissance avait été plus rapide que celle de sa grande sœur, ou bien c’était mon sens de l’observation qui était défaillant.
« Et vous, que souhaitez-vous étudier ? demandai-je.
— Je ne sais pas. Ce qui vous semblera utile.
— Si vous vous instruisez en vue de votre mariage, ce ne sont pas les sciences qui sont le plus indiquées… Enfin, ce n’est pas interdit, mais pour plaire à un époux, il y a mieux. Pourquoi ne voulez-vous pas plutôt avoir un professeur de musique ?
— Peut-être mon père en fera-t-il venir un, mais vous aurez sûrement des choses intéressantes à m’apprendre. »
Je hochai gravement la tête.
Tout ce qu’avait dit Violla sonnait faux. Il me semblait qu’elle me cachait ce qu’elle avait en tête, ou plus exactement, qu’elle ne l’exprimait que par son regard. Je m’attendais presque à un clin d’œil de sa part.
Quelque chose de beaucoup plus étonnant se produisit.
« Nous trouvez-vous belles ? questionna-t-elle.
— Euh… oui.
— J’ai remarqué que vous étiez attiré par nous et que cela vous gênait. Il ne faut pas que vous le soyez. Comme l’a dit mon père, nous sommes destinés à devenir familiers. Nous pouvons tout nous permettre. »
Sous mes yeux ahuris, Violla se mit lentement à délacer son corsage. Sous les mouvements de ses doigts fins, le décolleté s’élargit et une paire de seins en émergea comme deux collines d’où le brouillard se retire. Ils me parurent aussi doux que ces mousses dont se recouvrent les rochers humides. Deux pastilles roses les ornaient, elles-mêmes surmontées de gros boutons plus sombres. Violla pinça l’un d’eux et tira dessus.
« Voulez-vous les caresser ? » questionna-t-elle.
J’étais devenu aussi incapable de parler que de bouger, mais des pensées brûlantes oscillaient entre ma tête et mon bas-ventre.
« C’est une coutume locale ? » me demandai-je.
Le retour de Louriana apporta une réponse indirecte à cette interrogation : elle vit sa sœur me montrer ses seins mais ne lui fit pas le moindre reproche.
« On va remplir votre baignoire, annonça-t-elle. Cela va prendre un peu de temps. Que désirez-vous faire en attendant ? Poursuivre la visite du château ?
— Oui, répondis-je machinalement.
— Violla, qu’est-ce que tu fais ?
— Je vais rester ici. »
Jusque-là, j’aurais pu croire que les pieds de Violla avaient été cloués au sol, mais elle se décida à bouger. Elle passa près de moi pour s’asseoir sur mon lit. Bien loin de rajuster son corsage, elle retroussa sa jupe et révéla des jambes aussi belles que je les avais imaginées. Elles furent découvertes jusqu’à mi-cuisses, mais les doigts de la jeune fille remontèrent encore plus haut, vers la partie la plus intime de son corps. Je ne le vis pas mais le devinai.
« Ne soyez pas étonné par nos habitudes, déclara Louriana sur un ton détaché. Elle a tout simplement envie de se gratter.
— Ah ?
— Ne vous ai-je pas dit que nous sommes des gens simples ?
— Si.
— Venez. »
Louriana me prit par un bras pour m’emmener hors de la chambre.
Quand je fus dans le couloir, je me retournai pour regarder la porte dont je venais de franchir le seuil.
« Mais vous avez vu ce qu’elle a fait ? dis-je.
— Quoi ?
— Elle s’est dénudé les… les…
— Les seins. Et alors ? Elle avait envie de vous les montrer.
— Vous pensez que cela peut se faire ?
— Non, je sais que cela ne se fait pas ailleurs. Quand nous quitterons le comté, nous nous comporterons comme il faut. Mais ici, on ne se gêne pas.
— C’est une coutume familiale ?
— On peut le dire. Nous sommes proches de la nature, vous savez, et il n’y a rien de plus naturel que l’attirance entre les hommes et les femmes. Nous pensons de plus que la beauté d’un corps est faite pour être admirée. N’êtes-vous pas attiré par nous ? »
Une rougeur dut probablement passer sur mon visage, quand je me rappelai les pensées luxurieuses qui m’avaient assailli.
Louriana émit un petit rire sonore.
« Je connais la réponse, reprit-elle. Je ne suis ni aveugle ni ignorante. Vous craignez de tomber amoureux de l’une de nous, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Ou des deux ? »
Un nouveau sourire éclata sur le visage de Louriana. Qu’elle était irrésistible ainsi !
« Violla voulait vous montrer que nous ne vous repousserions pas, expliqua-t-elle. Et vous n’avez aucune inquiétude à avoir. Cela ne se saura pas. Ou plus exactement, tout le monde fermera les yeux. »
Ses paroles me convainquirent que Violla n’était pas atteinte de quelque déviance mentale. Elles firent également tomber le mur qui m’empêchait de m’approcher de Louriana. Je faillis la prendre par la taille.
Pouvais-je protester de me trouver face à deux jeunes filles légères ? J’avais toujours rêvé d’en trouver, mais la noblesse était le dernier milieu où je les aurais cherchées.