Kwilna, Mélanopos et moi, nous partîmes dans les rues de Nessana, sous les regards curieux de quelques citadins. La présence de deux étrangers auprès de cette grande dame les intriguait. Qu’est-ce qu’une aristocrate pouvait bien faire avec eux ? Étaient-ils des esclaves ? Ou bien, était-elle une prêtresse ? Ces femmes étaient connues pour fréquenter indifféremment les Warittes et les étrangers.
« Y a-t-il une statue de Welouma dans ta maison ? demandai-je. Je n’en ai vue aucune.
— Une pièce est consacrée à la déesse, mais les hommes ne peuvent pas y entrer, répondit Kwilna.
— Seules les femmes y ont accès ?
— Oui.
— Tu y fais des sacrifices pour elles ?
— À leur demande, je fais des invocations et des libations. »
Je venais d’apprendre que les prêtresses du temple ne pouvaient pas effectuer de sacrifice sanglant. Cette règle valait donc aussi pour celles qui vivaient en ville.
« Et tes enfants ? poursuivis-je. Tu m’as dit que tu as un garçon et une autre fille. Je ne les ai pas vus.
— Ils ne vivent pas dans ma maison, même si j’ai toujours des relations régulières avec eux. Ils sont élevés par d’autres prêtresses.
— Tu es entrée dans le temple il y a quatorze ans. Pourquoi n’as-tu pas eu plus d’enfants ?
— Je ne sais pas. Certaines prêtresses de Welouma sont peu prolifiques, c’est pourquoi on leur donne cinq ans pour enfanter au temple.
— Peut-on imaginer qu’elles n’y arrivent pas alors qu’elles ne sont pas stériles ?
— Nous ne pensons pas que cela puisse se produire.
— N’est-il pas paradoxal que des femmes censées incarner la déesse de la fécondité aient aussi peu d’enfants, alors que d’autres en ont une dizaine avec leur seul mari ?
— Je suis encore jeune. Je continuerai sûrement à procréer. »
Mes questions gênaient Kwilna. Elle me répondait sans me regarder, et son voile me cachait même une partie de son profil, me laissant surtout voir son nez. De temps en temps, elle le rajustait pour l’empêcher de glisser. C’était un geste typiquement féminin et très élégant.
Nous discutions ainsi tout en marchant dans la lumière du matin. Il fallait éviter de passer devant l’entrée principale du temple de Welouma. Kwilna nous conduisit directement derrière ce vaste complexe, dont le mur d’enceinte apparut au bout d’une ruelle.
« Le parc se trouve de l’autre côté », déclara-t-elle.
Comme elle parlait à voix basse, personne ne pouvait l’entendre, car les abords du temple étaient presque déserts.
Nous longeâmes le mur, que le soleil commençait à éclairer. Nulle part, il n’y avait d’ombre où se réfugier. Nous avancions dans une rivière de feu.
« Il est temps de te demander ce que tu attends de moi, poursuivit Kwilna.
— Comme je te l’ai dit, j’ai besoin de glaives, répondis-je. Y a-t-il un moyen de les introduire dans le temple ?
— Qu’est-ce que tu veux faire avec eux ? Massacrer les soldats qui gardent l’entrée ?
— J’ai plutôt l’intention de faire sortir Ilouwa par l’arrière. Est-ce possible ?
— Oui, tu pourras emprunter la porte des celliers. Les servantes en ont la clé. Veux-tu que je t’y conduise ?
— Oui. »
Nous vîmes rapidement cette porte, mais je m’arrêtai avant d’y arriver. Une charrette chargée d’amphores se trouvait juste devant elle et deux hommes regardaient des servantes emporter ces marchandises. Elles franchissaient à peine le seuil.
Jusqu’à présent, je n’avais pas eu la curiosité de me renseigner sur l’approvisionnement du temple. C’était une lacune à combler.
« Les hommes ont-ils accès aux celliers ? m’enquis-je.
— Non.
— Mais de l’intérieur, cette porte est facile d’accès ?
— Tu seras obligé de traverser tous les magasins, et cela ne pourra se faire que de nuit. Ils sont alors complètement déserts.
— Je m’y étais attendu.
— Alors tu vas faire sortir Ilouwa en pleine nuit et pourfendre avec tes glaives les fantômes que tu croiseras ?
— Pas vraiment. Y a-t-il des patrouilles nocturnes ?
— Oui.
— Nous risquons d’en rencontrer sur la route du port ?
— Si cela se produisait, tu tuerais ces soldats ?
— Je préférerais ne pas avoir à le faire, mais il vaut mieux prendre des précautions.
— Tu raisonnes comme un guerrier. »
Kwilna s’écarta de moi pour mieux me dévisager. J’avais pris l’habitude de me déshabiller devant ces prêtresses, mais cette fois, ce fut mon âme qui fut mise à nue.
« Un guerrier qui est prêt à tuer pour défendre la femme de sa vie…, murmura-t-elle. Tu sais que tu n’aurais pas dû entrer dans le temple de Welouma ? Tu n’es pas le genre d’homme qu’il nous faut.
— Que dois-je déduire de ton jugement ? fis-je.
— Il n’y a rien à en déduire. C’est juste une constatation… Bon maintenant, qu’est-ce que tu veux faire ? Prendre la route du port pour préparer ton expédition ? »
Nous nous remîmes en marche, Kwilna encadrée par Mélanopos et moi. Mon ami avait une attitude beaucoup sérieuse que d’habitude, comme si des pensées philosophiques s’étaient substituées à ses envies de sexe. Mais en vérité, il réfléchissait plus probablement à l’aventure dans laquelle j’allais l’entraîner.
Le fleuve Antarant coulait à l’est de Nessana, juste à l’extérieur de ses murailles. Du temple de Welouma, on y allait par une rue à peu près droite mais descendant légèrement. Mélanopos et moi, nous ne l’avions jamais encore empruntée car nous étions venus à pied, par une autre voie. Nous y retrouvâmes l’agitation de la cité. Des femmes transportaient des amphores ; des hommes poussaient des charrettes, leurs muscles bandés luisant de sueur. Partout, les cris modulés des marchands retentissaient.
Ce port était fluvial et ses dimensions étaient donc réduites. Des bateaux à voile triangulaire y accostaient de temps en temps et déchargeaient leurs marchandises. À notre arrivée, deux d’entre eux étaient à l’arrêt, et comme laissés à l’abandon. Quelques esclaves laissaient leurs regards s’attarder sur Kwilna, car les femmes de son rang venaient rarement en ce lieu.
Nous nous arrêtâmes sous la porte de la cité. Je remarquais qu’elle n’était pas d’une grande solidité et j’en demandai la raison à notre guide.
« C’est parce qu’il est difficile d’attaquer Nessana par là, expliqua-t-elle à voix basse. L’Antarant constitue une défense suffisante. »
De l’intérieur, la porte était facile à ouvrir. Elle ne constituait nullement un souci pour moi. Nous la franchîmes et effectuâmes les quelques pas qui nous séparaient du quai. L’espace entre le rempart et le fleuve était si étroit que deux charrettes pouvaient à peine s’y croiser. De fait, personne n’empruntait cette route.
Tout en regardant les eaux limoneuses de l’Antarant couler à mes pieds, j’élaborai un plan. L’absence d’activité donnait au port un aspect rustique. De l’autre côté du fleuve, s’étendaient d’ailleurs des champs séparés par des haies de buissons et quelques arbres, où travaillaient de rares paysans. Des ondulations de chaleur montaient du sol. À notre droite, des femmes étaient en train de se laver, à moitié immergées dans l’eau, mais nous étions trop loin pour bien les distinguer.
Mélanopos nous proposa de poursuivre notre promenade dans cette direction. Cette présence féminine n’était sûrement pas étrangère à sa soudaine humeur baladeuse. Kwilna lui ayant donné son accord, nous avançâmes sur l’étroite bande de terre séparant le rempart de l’Antarant. La réverbération du soleil sur l’argile du mur rendait la chaleur suffocante et expliquait que notre route fût déserte. Même sur le chemin de ronde, il n’y avait personne, si bien que les femmes avaient pu se déshabiller sans se soucier des regards indiscrets. Elles se trouvaient sous un grand figuier, qui se penchait sur le fleuve comme pour y tremper ses feuilles.
Kwilna nous demanda de nous arrêter avant d’arriver à leur hauteur, et immédiatement, elle enleva son voile.
« Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je.
— Il faut bien que notre présence en ce lieu soit justifiée, répondit-elle. Vous n’allez pas rester plantés devant ces femmes pour les regarder ! »
Et elle se déshabilla complètement et posa ses vêtements par terre avant d’entrer dans le fleuve. Nous pûmes d’abord la contempler de dos, ses fesses surmontant les flots. Il fallait la voir ainsi, en pleine nature, dans son bain de soleil et d’eau, pour saisir vraiment la beauté de son corps. Elle se pencha et trempa ses bras, nous montrant sa vulve surmontée de son petit trou et nous mettant immédiatement en érection.
C’était elle qui était devenue l’objet de toutes les attentions. Sur l’autre rive, les femmes s’étaient figées pour la regarder. Elles avaient dû deviner qu’elle était une prêtresse de Welouma. Dans ce groupe sans doute constitué de paysannes, il y avait deux jeunes filles à la superbe poitrine, mais nous n’avions plus d’yeux que pour Kwilna.
« Eh bien, ne restez pas là ! nous lança-t-elle. Baignez-vous comme moi ! »
Je crus qu’elle plaisantait parce que nous nous trouvions dans une situation délicate, avec nos membres dressés. Nous consentîmes néanmoins à descendre dans l’eau jusqu’aux genoux, mouillant le bas de nos tuniques.
« Qu’est-ce que tu cherches à faire ? fit Mélanopos d’une voix bourrue. Tu ne veux quand même pas que je te baise ici ?
— Et pourquoi pas ?
— Ce n’est pas possible !
— Et toi, Mélanopos, que voulais-tu faire ? Tu crois que dans mon pays, les hommes s’arrêtent pour regarder des femmes se baigner ? »
Mélanopos ne trouva plus rien à dire. Kwilna s’immergea jusqu’à la poitrine, puis elle remonta vers la rive en frottant ses seins, dont la chair élastique se déformait sous ses doigts. Cette fois, elle nous faisait face. En se réfléchissant sur l’eau, les rayons du soleil s’étalaient en dessins fluctuants sur sa peau et la métamorphosaient en lumière.
« Moi, vous avez le droit de me regarder, puisque je suis la femme de tout le monde, reprit-elle.
— Cela, je le comprends, déclarai-je. Mais ce n’est pas une raison pour se donner en spectacle.
— Mon rôle est de faire bander les hommes. Que pourrait-on me reprocher ? »
Elle se caressa les hanches puis le sexe, ce qui ne manqua pas de rendre nos verges encore plus dures.
Jusqu’alors, je crus qu’elle se livrait à une simple exhibition, mais je me trompais. Elle avança vers moi et sortit d’autorité mon phallus de ma tunique. Accroupie devant moi, elle l’enfonça dans sa bouche. Je jetai immédiatement des coups d’œil tout autour de moi pour vérifier si nous étions bien seuls. Notre chemin resterait probablement désert. Une embarcation pouvait à tout moment passer sur le fleuve, mais pour le moment, les seuls yeux tournés vers nous étaient ceux des poissons, ainsi que ceux des baigneuses, éberluées par ce torride spectacle. Elles étaient sorties de l’eau et se rhabillaient, mais sans pouvoir détacher leurs regards de nous.
Kwilna poursuivait consciencieusement sa fellation, sans se soucier de ces spectatrices, mais j’étais tellement gêné que je n’en ressentais aucun plaisir. Je finis par reculer en lui arrachant mon pénis des mains.
« Eh bien ? fit-elle avec une moue de déception. Pourquoi me repousses-tu ? Je ne t’ai pas sucé assez bien ?
— Sois sérieuse ! protestai-je. On ne baise pas en plein air !
— Que sais-tu de nos coutumes ? »
Je savais que les prêtresses ne connaissaient pas de limites, mais je refusais de croire qu’elles pussent se livrer à des actes sexuels en public, sauf peut-être lors de rituels bien précis.
« La chaleur ne vous donne pas soif ? reprit-elle. Moi, j’ai envie de boire un peu de sperme. »
Je m’aperçus qu’elle était sérieuse à sa manière. Des gouttes d’eau luisaient sur la peau diaphane de ses fesses, et entre ses cuisses, coulait un liquide d’une autre nature, la sécrétion du désir féminin.
Elle s’avança vers Mélanopos pour saisir son sexe. Il se laissa faire sans réagir, subjugué par son amante, et moi, je ne pensai plus qu’à les regarder. Kwilna effectua une fellation dans les règles de l’art, en caressant tout l’entrecuisse de Mélanopos jusqu’à son anus, et elle obtint la boisson désirée. Quand elle libéra le phallus de son partenaire, des gouttes de sperme glissaient sur son menton. Elle retourna dans l’eau pour s’immerger jusqu’au cou.
Les paysannes étaient toujours sous le figuier, et j’imaginais qu’elles mettraient un certain temps à se remettre de leurs émotions. Je doutais qu’elles fussent très instruites sur le culte de Welouma. Elles devaient croire que ce coït au grand air était normal, même si c’était sûrement le premier qu’elles voyaient.
Dès que Kwilna revint sur la berge, elle se rhabilla, ce qui produisit un curieux effet. Son chiton et son voile étaient censés dissimuler son corps, mais le tissu collait à ses fesses et ses seins mouillés en soulignant leurs ravissants contours. Et alors que je me tournais vers le fleuve, j’y vis une barque. C’étaient des cultivateurs qui venaient à Nessana pour vendre leur production. Ils arrivaient sans doute trop tard pour avoir vu l’épisode le plus chaud.
Nous étions presque secs quand nous revînmes à la porte.
« Je vous laisse rentrer seuls au temple, annonça Kwilna. Pourrez-vous retrouver la route ?
— Nous ne sommes pas stupides ! protesta Mélanopos. C’est tout droit !
— Oui, mais êtes-vous capables de marcher droit ? »
Elle s’éloigna, le visage illuminé par un grand sourire, apparemment très contente de sa plaisanterie. Je la regardais marcher en me demandant sur quel type de femme j’étais tombé. Apparemment, elle était capable d’enfreindre toutes les règles. Je pensais à l’aventure qu’elle venait de nous faire vivre au bord de l’Antarant, mais surtout à sa promesse de m’aider à sauver Ilouwa. Elle allait enfreindre les lois divines alors qu’elle était une prêtresse.
« Mélanopos, promets-moi de garder le silence, déclarai-je.
— Le silence sur quoi ?
— Sur Nepisza. Sur mon projet de faire sortir Ilouwa du temple. N’en parle à personne.
— Même pas à Euryèlos ?
— Je lui parlerai moi-même, quand le moment sera venu. Lorsque tu retrouveras Hasterza, tu lui diras simplement que nous avons passé ensemble la nuit chez Kwilna, d’accord ?
— D’accord. »